Communiquer avec une personne ayant des troubles cognitifs

Lorsque l’un de nos proches commence à perdre ses repères, la mémoire, on ne sait pas toujours comment réagir : que ressent-il ? Comment l’aider ? Comment interpréter certaines attitudes déroutantes ? Comment réussir à rester en relation, à en inventer une nouvelle peut-être ?

Autant de questions que nous avons posées à deux professionnels du sujet :

  • Le docteur Edouard ZAPATA, psychiatre et gériatre, praticien hospitalier ;
  • Céline PARIS-ZAPATA, assistante sociale.

Tous deux nous ont précisé qu’en la matière, il était très difficile d’apporter une réponse générale, que chaque cas était unique. Il est essentiel de respecter la personnalité d’une personne souffrant de troubles de la mémoire, afin de décrypter ce qu’elle ressent, de lui apporter des réponses pertinentes et de maintenir ainsi une relation de confiance.

66 Millions d’IMpatients : Est-ce normal de perdre la mémoire lorsque l’on vieillit ?

Edouard Zapata : Quel que soit son âge, c’est important qu’un diagnostic puisse être posé lorsqu’il y a des troubles de la mémoire. Il est nécessaire qu’une évaluation globale soit réalisée concernant non seulement la mémoire mais également la vision, l’audition, les facultés cognitives, car finalement une personne âgée qui répéterait sans cesse les mêmes questions pourrait tout simplement ne pas bien entendre les réponses !

Aujourd’hui les gens ne sont malheureusement pas ou peu évalués, ou cela intervient souvent très tard. Ce retard dans l’accompagnement contribue à dégrader les relations avec les proches. Les aidants peuvent littéralement s’épuiser alors qu’ils auraient pu bénéficier d’aide beaucoup plus tôt. Il est essentiel de comprendre quelles sont les origines des troubles de la mémoire pour apporter des conseils pertinents aux aidants.

Les troubles de la mémoire sont-ils très différents suivant qu’ils sont dus à la vieillesse ou à une maladie comme Alzheimer ?

E.Z. : Pour différencier les troubles de la mémoire dus à un vieillissement a priori normal des troubles qui font suite à une pathologie, on analyse quelles sont les conséquences des troubles de la mémoire dans la vie quotidienne. S’il y a un changement de comportement qui conduit la personne à devenir dépendante d’une autre personne, on peut considérer que le trouble de mémoire est pathologique. Pour l’illustrer avec des exemples, il pourrait s’agir d’une personne qui tout d’un coup ne sait plus cuisiner, ne sait plus se servir des appareils du quotidien, même basiques, comme une télécommande. Il peut aussi y avoir un déphasage temporel qui pourrait devenir peu à peu difficilement acceptable. Par exemple, la personne pourrait se mettre à fermer tous les jours les volets en milieu d’après-midi en pensant que c’est le soir et être en décalage perpétuel avec pour risque d’entraîner des troubles alimentaires ou du sommeil. Cela devient encore plus compliqué lorsque la personne croit vivre des moments remontant à une période antérieure de sa vie.

Céline Paris-Zapata : Dans ce genre de situations, les aidants n’osent pas contrarier les malades, d’autant que cela peut engendrer des conflits. Les relations à la maison peuvent se dégrader, puis peu à peu on se renferme et ce sont ensuite les relations sociales qui se détériorent.

Faut-il que les proches stimulent une personne qui a des troubles de la mémoire ?

E.Z.: Cela dépend beaucoup de la relation aidant-aidé et il faut savoir si la personne atteinte de troubles demande effectivement à être aidée et stimulée. On ne peut pas faire contre l’avis et la volonté de la personne. Des troubles psycho-comportementaux avec des refus, de l’agressivité, de l’irritabilité voire de la dépression peuvent se manifester si l’on oblige quelqu’un à faire ce qu’il ne souhaite pas ou qu’il ne pense pas être bon pour lui. En outre, le domaine de la stimulation doit plutôt relever des professionnels médico-sociaux ou de santé. Dans le quotidien, cela peut générer d’importantes difficultés relationnelles.

Si on modifie trop la relation à l’autre par des discussions, des stimulations qui sont différentes du quotidien qu’il y avait auparavant, la personne qui a des troubles va se sentir encore plus « malade ». Il est important que la vie continue à se dérouler de manière habituelle et de ne pas transformer la relation au point que l’aidant se mette à la place d’un professionnel et que l’aidé devienne pour lui comme un patient. La relation de stimulation ne doit pas devenir trop insistante dans le quotidien, car ce n’est pas une relation normale. Je dis souvent aux familles qu’elles n’ont pas à se substituer aux professionnels. Ils doivent rester le mari, la femme, les enfants. Ils n’ont pas à devenir l’orthophoniste ou le médecin. Cela peut être possible de temps à autre et à la seule condition que l’aidé le demande.

Que ressent une personne qui commence à perdre la mémoire ?

E.Z.: Lorsque les troubles de la mémoire apparaissent, la personne malade le vit souvent mal. Il était souvent dit que les gens n’avaient pas conscience de leurs troubles de la mémoire. Ce n’est pas le cas mais il est cependant important que ces personnes ne soient pas stigmatisées comme des malades. S’il y a de grosses modifications comportementales, il faut vérifier s’il n’y a pas une dépression sous-jacente qui serait liée au vécu douloureux de ces troubles de la mémoire.

Comment appréhender et réagir face aux changements de personnalité d’un proche ?

C.Z.P.: Lorsque l’on est confronté à une maladie, quelle qu’elle soit, il peut arriver qu’une forme d’agressivité apparaisse. C’est souvent lié à l’éventuelle perte d’indépendance. Pour donner un exemple concret, une personne âgée qui devient dépendante et qui ne pourrait plus marcher, aurait du mal à s’exprimer, ne peut plus éventuellement partir pour prendre l’air en cas de désaccord avec un proche. Les émotions, les frustrations peuvent finir par « déborder » et une certaine agressivité peut s’installer. Mais on ne devient pas violent du jour au lendemain parce qu’on est malade. C’est souvent un problème de communication à un stade où la personne malade vit une situation qui lui fait violence et à laquelle elle n’a pas le moyen d’échapper. Cela est d’autant plus frustrant qu’il y a une certaine tendance à ne plus accorder la même valeur à la parole d’une personne qui souffre de troubles de la mémoire.

Cette agressivité éventuelle est rarement sans explication ?

C.Z.P.: On vieillit ou on évolue dans sa maladie avec ce que l’on a vécu tout au long de sa vie, avec la personnalité que l’on a. Lorsqu’ils apparaissent, les troubles exacerbent des failles qui existaient dans les relations familiales auparavant.

Prenons le cas des enfants qui deviennent aidants de leurs parents : on a souvent une représentation propre de ses parents peut être assez éloignée de la réalité. Par conséquent, si l’on est amené à revenir dans le quotidien de ses parents que l’on a quittés depuis des années, il se peut qu’il y ait un décalage entre la représentation que l’on a du couple parental et la façon dont ils se comportent réellement l’un avec l’autre depuis des années. Parfois certains couples sont très attentionnés en public, mais à la maison ils peuvent avoir un mode de communication finalement brutal. Les enfants ont donc l’impression qu’une forme d’agressivité s’installe alors qu’en réalité elle existait déjà auparavant.

E.Z.: L’agressivité est sans doute un signal d’alarme d’une angoisse éventuelle qui mérite d’être entendue et explorée. Il faut bien comprendre que souvent l’agressivité entre aidants et aidés est mutuelle et peut être due au fait que l’aidé est stigmatisé par l’aidant comme un malade. La relation mari et femme ou enfant et parent est alors bouleversée et des violences verbales ou physiques peuvent surgir. Ces violences peuvent venir autant du côté de l’aidé que de l’aidant, surtout si celui-ci se sent épuisé voire frustré, prisonnier de son rôle d’aidant.

Souvent les personnes qui perdent la mémoire répètent sans cesse les mêmes questions. Faut-il y répondre à chaque fois ?

E.Z.: Cela dépend en fait de la motivation des personnes à renouveler sans cesse les mêmes questions. Dans le cas où la personne interroge les proches pour savoir où est par exemple leur femme, leur mari ou un enfant qui est décédé, il est bien évident qu’on ne peut pas lui répéter 30 fois par jour qu’il ou elle est mort(e). Cette demande particulière sur les deuils souligne en fait souvent la souffrance de la personne à vivre l’absence. Il vaut mieux alors, plutôt que de répondre abruptement à la question, travailler sur les émotions et demander par exemple si le proche décédé lui manque, afin que la personne puisse exprimer ce qu’elle ressent.

C.Z.P.: Il arrive régulièrement qu’une personne qui présente des troubles de la mémoire demande où sont ses proches : c’est qu’elle s’inquiète pour eux. En outre ils vivent souvent une autre temporalité que la réalité. Par exemple, une femme âgée pourrait demander vers 16h30 où sont ses enfants, et s’inquiéter de les avoir oubliés à l’école. Dans les troubles mnésiques et cognitifs, il n’est pas rare que les personnes se croient beaucoup plus jeunes. Il est donc nécessaire de prendre en considération la temporalité de la personne qui a des troubles. Si une personne âgée a perdu son fils mais que dans son esprit elle n’a que 35 ans, si ça se trouve pour elle, elle n’a même pas de fils. Cela peut créer des tensions, des manques de confiance car la personne pense qu’on lui ment. En fait, c’est très différent si l’on est face à une personne qui vit ses premiers troubles ou à une personne qui a des troubles très avancés.

E.Z.: Il faut accompagner la personne qui a des troubles en l’interrogeant pour comprendre pourquoi il y a ce phénomène de répétitions. Souvent ce sont des confirmations face à des inquiétudes. La personne sait qu’elle oublie des choses et craint de décevoir son entourage, par conséquent elle répète les choses. Un cercle vicieux peut s’installer car si les proches semblent agacer à force de répéter les choses, la personne le ressent, culpabilise, stresse et va finalement accentuer ses interrogations répétitives. Pour aider la personne malade, il ne faut pas hésiter à se servir de supports écrits qui peuvent se révéler très rassurants.

Attention cependant à ne pas confirmer les malades dans un décalage temporel. Il faut faire ce que l’on appelle un « recadrage » mais avec subtilité, toujours en cherchant à comprendre ce que cela peut cacher au niveau émotionnel. Il vaut mieux essayer de faire comprendre avec bienveillance à la personne malade que ce qu’elle dit n’est pas tout à fait cohérent, en prenant garde toujours à ne pas la stigmatiser dans sa maladie.

Comment organiser les visites occasionnelles en maison de retraite ?

E.Z.: Il est préférable d’éviter les visites aléatoires et privilégier de ritualiser les rencontres. Il est important que cela reste un échange positif et pas une obligation. Il vaut mieux décider d’un rythme de visite, et s’y tenir. Cela peut être plusieurs fois par semaine en précisant les jours, tous les quinze jours ou une fois par mois. La durée de la rencontre ne doit pas être trop longue, entre 30 minutes et une heure, car ce sont des personnes âgées, présentant la plupart du temps des troubles cognitifs et donc souvent fatigables.

C.Z.P.: Effectivement les personnes qui souffrent de maladies neurodégénératives ont souvent des troubles de l’attention et ont du mal à maintenir un échange quand la visite est longue.

Pour parler plus spécifiquement de la période qui suit le déménagement vers la maison de retraite, certaines familles culpabilisent tellement qu’elles ont du mal à prendre leur place dans ce nouvel environnement. Il peut arriver que des proches viennent y passer tous les après-midis, tous les jours (cela dit dans certains cas ce n’est pas contre-indiqué), ce qui peut poser des difficultés d’organisation pour le résident et les équipes soignantes car une nouvelle vie, avec ses rythmes particuliers de repas, de loisirs, de soins doit se mettre en place pour l’équilibre de tous. En outre, réintroduire des représentations de l’ancien lieu de vie dans cette nouvelle résidence n’est pas forcément recommandé.

Il faut savoir que la plupart du temps, les soignants craignent les familles et inversement. Il peut y avoir comme une sorte de compétition entre les deux. Or, bien évidemment, travailler main dans la main est largement bénéfique pour tous. Prenons le cas des horaires des visites. Souvent les familles viennent l’après-midi or certaines personnes âgées ont besoin de faire une sieste à cette heure-là ou ont envie de participer aux activités sociales de l’établissement mais y renoncent pour privilégier la famille. Les soignants savent souvent que dans de tels cas, ce serait la fin de matinée qui serait idéale pour les visites, mais ils ne s’autorisent pas toujours à le dire aux familles. Le mieux est qu’un échange direct ait lieu entre professionnels et famille sur ces questions très pratiques d’horaires.

Quant à la ritualisation des visites, elle permet aussi d’aider les soignants à poser des repères dans la vie des personnes âgées qui présentent des troubles de la mémoire. Dans la mesure où des habitudes horaires de visites s’installent, les soignants peuvent alors donner des informations exactes aux résidents quand ils demandent à voir leurs proches. Cela renforce la relation de confiance entre les résidents et les soignants. De la même façon, quand les visites sont prévues, a fortiori avec les conseils des soignants concernant le meilleur horaire, il y a plus de chance que la personne âgée soit disponible, davantage en interaction. S’il n’y a pas d’échanges durant les visites, au bout d’un certain temps, il se peut que les proches se découragent et se lassent de venir, ce qui n’est évidemment pas souhaitable.

Sur le sujet de la durée de la visite, parfois pour une personne très affaiblie, 20 minutes riches en échanges valent parfois mieux que deux heures où la communication est impossible. Pour les mêmes raisons, il n’est pas forcément conseillé de venir en grand nombre. Les tout petits enfants sont très bienvenus car les bébés qui ne parlent pas encore vont animer la relation d’un point de vue comportemental, ce qui convient très bien aux personnes qui ont des troubles de la mémoire ou de la parole.

Enfin, lorsqu’il y a des évènements familiaux comme un anniversaire par exemple, et que la personne âgée ne peut plus se déplacer hors de la maison de retraite, certains établissements proposent que les familles se retrouvent dans une salle dédiée et aillent visiter le résident dans sa chambre par petits groupes.

POUR ALLER PLUS LOIN
  • Association France Alzheimer
  • Le Cahier Alzheimer, écrit par le psychologue clinicien Romain Pager, représente un excellent support pour apprendre à communiquer avec les malades souffrant de cette maladie neurodégénérative. La lecture de ce cahier de 250 pages est accessible à tous les publics, autant aux professionnels des secteurs médico-sociaux et de santé qu’aux proches aidants. La description des divers symptômes, de leur évolution, de leur origine permet de mieux comprendre les différentes facettes de cette maladie très déstabilisante. L’auteur illustre son ouvrage avec de multiples cas concrets qui peuvent permettre parfois de trouver des réponses assez précises à des situations spécifiques.
    33 € – A commander auprès des Editions Frison-Roche – 01 40 46 94 91 – Boutique en ligne de l’éditeur

Comment recueillir le consentement d'une personne ayant des troubles cognitifs ?

"Inscrire le patient au centre de sa prise en charge est essentiel, y compris lorsque des troubles cognitifs l'affectent. Si le recueil du consentement est une pierre angulaire de cette prise en charge, l'évaluation de la capacité décisionnelle l'est donc tout autant."

Comment prendre en charge les personnes souffrant de troubles cognitifs ?

Pour les troubles cognitifs légers chez la personne âgée, le ginkgo biloba et l'hyderzine font partie des traitements les plus souvent préconisés. Afin de sécuriser la personne âgée au quotidien, un équipement de téléassistance à domicile est recommandé.

Comment communiquer avec une personne atteinte de démence ?

Éléments de la communication.
Parlez clairement et lentement (mais évitez de traiter votre être cher comme un enfant)..
Parlez calmement, de façon positive et respectueuse..
Utilisez des phrases simples et concises..
Parlez dans un endroit tranquille et sans distractions..
Accordez toute votre attention à votre être cher..

Comment réagir face aux troubles cognitifs ?

Ne vous étonnez pas de certains comportements.
Une personne âgée peut avoir une compréhension ralentie. ... .
Parlez-lui distinctement et avec un timbre clair..
Ne vous étonnez pas, lorsque vous haussez le ton, qu'il se fâche en vous demandant de ne pas parler si fort car « il n'est pas sourd »..

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