Comment linnovation rend la croissance économique soutenable ?

1Notre planète est confrontée à des problèmes écologiques et sociaux croissants dialectiquement liés. Les dommages environnementaux sont multiformes. De la dégradation voire de l’épuisement des ressources naturelles à l’accumulation de déchets insuffisamment traités, tous les clignotants virent au rouge. Mais, c’est surtout l’émission croissante de gaz à effet de serre (GES) et ses conséquences climatiques induites en cours et à venir qui inquiète. En effet, avec cet accroissement, un processus de généralisation des crises écologiques localisées à des dégâts universels est en cours.

2De 1990 à 2000, le coût estimé des catastrophes naturelles, d’après les dommages déclarés auprès des compagnies d’assurance, a été multiplié par 10 pour atteindre 730 milliards de dollars cumulés [1]. Couplées à des politiques d’aménagement peu respectueuses de l’environnement, ces catastrophes vont probablement se démultiplier dans l’avenir. On peut s’inquiéter d’une telle situation, surtout si l’on considère que notre empreinte écologique, qui estime par unité de surface et par habitant, la pression des activités humaines sur les écosystèmes de la planète, excède d’ores et déjà de 30 % les capacités des ressources naturelles à se renouveler et à absorber les pollutions [2].

3Devant ces constats inquiétants reconnus par la quasi-totalité de la communauté scientifique, il existe une palette de réponses allant du développement durable à la décroissance soutenable. Qu’en est-il exactement ?

Le développement durable, notion galvaudée insuffisante

4Le développement durable, concept formalisé en 1987 par le rapport « Brundtland » de la Commission des Nations unies sur l’environnement implique de répondre aux besoins présents sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs. À travers cette terminologie point l’idée d’une réorganisation écologique de l’économie grâce à la croissance du produit intérieur brut (PIB). Ladite croissance et les découvertes scientifiques rendent possibles la substitution de capital et/ou de nouvelles énergies aux ressources énergétiques fossiles en voie de raréfaction. En conséquence, la réconciliation harmonieuse du développement économique et environnemental devient crédible. De même, les surplus générés par la croissance sont censés réduire la pauvreté (développement social). Cette vision politique mise sur le progrès technique et la croissance pour résoudre les contradictions écologiques et sociales. Elle maintient ainsi la domination de la sphère économique sur le social et l’environnemental.

5Mais rendre l’avenir de la terre dépendant de la toute-puissance de solutions techniques repose sur un pari forcément aléatoire. Une course de vitesse semble engagée entre la dégradation écologique et la recherche d’antidotes techniques à celle-ci.

6Phénomène identique pour les sources d’énergie. Le délai d’épuisement des énergies fossiles gaz et pétrole est, selon les connaissances actuelles, de l’ordre de quelques décennies, les réserves de charbon plus importantes de l’ordre de quelques siècles avec l’inconvénient du caractère beaucoup plus polluant de cette énergie. L’énergie nucléaire, indépendamment des problèmes qu’elle pose en terme de sécurité, déchets… utilise aussi l’uranium, dont les réserves sont estimées à deux siècles au rythme actuel d’extraction. Les énergies renouvelables n’ont quant à elle pas atteint une maturité suffisante pour pallier rapidement la raréfaction des énergies actuellement dominantes.

7Ces tensions écologiques ne sont pas totalement inédites. Ainsi, Nicholas Georgescu-Roegen [3] relate la crise sévère que connut l’Europe dans la seconde moitié du 17e siècle, quand les gouvernements durent soumettre l’abattage du bois de forêt à des restrictions sévères afin d’éviter l’épuisement de la ressource forestière généré par la croissance économique. L’invention de la machine à vapeur permit alors de surmonter cette situation délicate. Grâce à cette découverte, l’exploitation des mines de charbon devint possible et le charbon put être substitué au bois. Un saut technologique a donc déplacé à ce moment-là les limites naturelles à l’activité économique.

8Georgescu-Roegen, lui-même initiateur théorique de la « décroissance soutenable », laisse ouverte la possibilité pour de nouveaux sauts technologiques repoussant les limites naturelles actuelles. Ainsi, « le surrégénérateur pourrait être un don prométhéen car il effectue une conversion qualitative, celle de matériaux fertiles en combustibles fertiles [4] ». Mais, « malheureusement, le surrégénérateur est entouré de risques graves non encore évalués suffisamment [5] ». Concernant l’énergie solaire, Georgescu-Roegen souligne aussi la difficulté considérable d’une maîtrise technique rapide et suffisante pour répondre aux besoins énergétiques accrus.

9En définitive, les limites de la nature sont finies à un temps t ; elles peuvent être repoussées mais il est généralement vain de prévoir le moment où le système « se réouvre » et admet croissance et complexification, donc dépassement des limites. Il est possible, mais non certain, que la technoscience parvienne finalement à résoudre globalement ces contradictions.

10Compte tenu de ces incertitudes, il convient d’appliquer un principe de précaution et de renoncer à l’utopie de l’abondance matérielle. Les pouvoirs publics n’agissent cependant pas dans cette optique. Ils cherchent par des moyens techniques aléatoires, mais aussi financiers, à perpétuer l’accumulation du capital. Il en est ainsi de l’institution d’éco-taxes et marchés de droits à polluer visant à internaliser les externalités négatives environnementales du marché et à inciter les entreprises à restructurer leurs productions dans un sens éco-efficient.

11Le bilan des redevances et éco-taxes est mitigé. Dans les faits, elles n’atteignent pas toujours les pollueurs. Ainsi en France, le secteur agricole est le pollueur principal des cours d’eau alors que les ménages sont les payeurs principaux. Plus fondamentalement, Jean-Marie Harribey souligne les contradictions de ces mécanismes puisque « la compensation monétaire d’un dommage causé à la nature n’intervient que lorsque le seuil d’auto-épuration des écosystèmes est franchi. Mais s’il est franchi, cela contribue à l’abaisser pour la suite puisqu’on l’a affaibli en franchissant les bornes. Et ceci, dans un processus de détérioration inexorable parallèle à la compensation monétaire [6] ». La « complexification et réouverture du système » ne sont alors plus d’aucun secours pour annuler ces phénomènes irréversibles comme le pointe Ted Benton [7].

12Les mécanismes d’attribution de droits de propriété sur l’environnement posent, au-delà de l’insuffisance des objectifs de Kyoto [8], de sérieux problèmes. En effet, l’attribution d’une valeur marchande aux externalités négatives du marché relève souvent d’une mission impossible.

13S’il est concevable d’attribuer un prix ou une valeur monétaire aux ressources naturelles de marché, comme les minerais ou les réserves de pétrole dont les stocks sont connus mais toutefois évolutifs, il apparaît hors de portée d’attribuer une valeur d’échange à des phénomènes comme l’accroissement de l’effet de serre ou les atteintes à la biodiversité. Jean-François Noël relève que ces pollutions globales entraînent des risques planétaires, mal identifiables, irréversibles à l’échelle de plusieurs générations et soumis à une grande incertitude scientifique sur l’intensité et la localisation de leurs conséquences [9]. Le rapport Guesnerie évoque la non-linéarité possible de ces phénomènes [10]. Jean-Marie Harribey précise qu’une des raisons principales de l’incommensurabilité des biens naturels et des biens économiques tient dans la non-équivalence des temps biologique et économique [11]. Il ajoute que les processus de constitution et d’évolution des écosystèmes échappent à tout horizon humain. Dès lors, « un prix de droit de polluer éventuel ne doit pas être considéré comme un prix économique ; c’est obligatoirement un prix socio-politique qui résulte directement de la norme de pollution à ne pas dépasser retenue par la société [12] ». Comment mesurer alors les conséquences économiques de l’effet de serre, prévoir le coût du changement de climat, de catastrophes futures ? Pourquoi recourir à des mécanismes complexes de marché puisque normes et plafonds d’émission des GES résultent de choix politiques ? N’y a-t-il pas un risque d’apparition de vastes constructions bureaucratiques afin de réguler le marché des droits à polluer ?

14L’ouverture à la concurrence d’activités autrefois administrées par des monopoles publics fournit de nombreux exemples d’émergence d’une bureaucratie énorme pour organiser le marché. La multiplication d’autorités de régulation, de contentieux juridiques indépendamment de conséquences économiques et sociales souvent néfastes de cette concurrence dans des activités à rendements croissants devrait freiner l’ardeur des promoteurs de marchés de droits à polluer.

15Enfin, les pays les plus pauvres et les moins dotés technologiquement qui participeront ultérieurement aux mécanismes de flexibilité seront tentés de vendre une partie de leurs droits d’émission de carbone aux pays plus riches et singulièrement à ceux qui gaspillent beaucoup. Or, ces ventes risquent d’être nombreuses et peu rémunératrices. En effet, les graves difficultés de nombre de pays du sud provoqueront certainement des ventes fournies en vue de rééquilibrer à court terme les budgets ou de rembourser les dettes.

16Le prix de ces ventes sera par ailleurs tiré vers le bas, les coûts marginaux de réduction des émissions de GES étant plus faibles dans les pays pauvres du fait de mutations technologiques plus aisées vers des procédés plus propres.

17Les droits d’émission pourront ainsi être accaparés à bon compte par les pays riches et les inégalités nord-sud renforcées. Le développement durable et ses objectifs humanistes de réductions des inégalités spatiales et temporelles apparaissent bien éloignés face à la dure « loi » des marchés.
Au-delà des limites de ces mécanismes, c’est surtout la logique intrinsèque d’accumulation infinie du système capitaliste qui empêche que les gains générés par l’éco-efficience ne se traduisent favorablement sur l’environnement.
Dans ces conditions, la terminologie de développement durable ne modifie pas les mécanismes libéraux-productivistes pervers et ne produit donc pas d’effets substantiels de réduction de la pression sur les écosystèmes. Cette non-remise en cause du développement économique dominant explique d’ailleurs le consensus politique (ONU, grandes institutions internationales, multinationales…) autour du terme « développement durable ». L’économie libérale peut continuer tranquillement à engendrer ses conséquences destructrices et inégalitaires avec le « développement durable » comme alibi et argument-marketing. Pendant ce temps-là, la dégradation des écosystèmes s’accélère.
Face à cette situation inquiétante, des approches écologiques radicales telles la décroissance soutenable émergent.

Les limites de la décroissance soutenable

18Alors que le développement durable parie sur l’éco-efficience pour réduire progressivement impact écologique et intensité du prélèvement des ressources naturelles sur les écosystèmes et atteindre un niveau estimé compatible avec la capacité reconnue de charge de la planète, les théoriciens de la décroissance considèrent que ce surcroît d’efficience est contrecarré par la multiplication des productions due à la logique intrinsèque productiviste du système. C’est l’effet-rebond. Ainsi, la généralisation des technologies de l’information et de la communication n’engendre pas le recul mais l’augmentation des impressions-papiers. Même situation dans le domaine des transports où, l’amélioration des moteurs d’automobiles est plus que contrebalancée par l’accroissement de véhicules plus lourds dotés d’une multitude de gadgets, de la climatisation et consommant au final plus d’énergie.

19Souvent d’ailleurs, cet effet-rebond n’améliore pas les conditions de vie. Par exemple, des transports en commun plus rapides n’ont pas réduit le temps de voyage à cause d’une urbanisation de plus en plus diffuse. De même, la vitesse moyenne des véhicules a chuté de 10 % en 20 ans dans les métropoles ouest-européennes [13].

20Les partisans de la décroissance soutenable rejoignent ici les critiques de la société de consommation émises par Ivan Illich dès les années 1960. Cette lecture critique du productivisme libéral peut aussi rencontrer la pensée de Marx pointant le fétichisme de la marchandise et distinguant le procès de travail en général, comme caractéristique anthropologique, du procès de travail particulier du mode de production capitaliste visant à produire des valeurs d’échange marchand. À partir de là, la déconnexion entre valeur d’usage et valeur d’échange marchand, entre satisfaction des besoins humains et marchandisation devient possible.

21Pour autant, le productivisme ne peut être limité au capitalisme. Les tentatives socialistes du 20e siècle ont montré qu’une économie non-capitaliste pouvait aussi blesser sérieusement l’environnement. L’inefficience écologique de ces expériences résulte de l’incapacité idéologique à promouvoir un développement alternatif au mode capitaliste. Les modalités d’entrée dans une économie et une société d’imaginaire social et culturel productivistes s’opèrent différemment entre les deux systèmes socio-politiques concurrents du 20e siècle mais aboutissent à l’identique : dégradation écologique et insatisfaction sociale et culturelle.

22Ces « échecs socialistes » trouvent en partie leur source dans les contradictions de Marx sur la question écologique. La pensée de Marx n’exclut pas la dimension écologique dans sa critique de la production dont la finalité n’est que la valeur marchande. En cela, le monde capitaliste de la valeur est non-humain, c’est-à-dire non lié à des considérations humaines. De la même façon, il n’est pas lié à des considérations écologiques puisque recherche du profit et respect de la nature ne concordent pas spontanément. Marx exprime une intuition écologique réelle lorsqu’il décrit l’agriculture ; « tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité [14] ».

23Cependant l’approche de Marx reste très contradictoire. Jean-Marie Harribey relève qu’il s’oppose avec Engels très fortement à Malthus par crainte que ne se dissimule un conservatisme derrière l’argumentation des limites naturelles [15]. Au-delà de cette critique, Marx considère toutefois positivement le développement des forces productives qui doit conduire au communisme. Georgescu-Roegen souligne que « pour les économistes marxistes […] tout ce que la nature offre à l’homme n’est que don gratuit [16] ».

24Pour Ted Benton, Marx sous-estime la signification des conditions naturelles non manipulables des procès de travail et sur représente le rôle de l’homme en ce qu’il peut agir intentionnellement sur la nature pour la transformer [17]. Cette vision prométhéenne de l’homme s’inscrit dans la vision dominante du 19e siècle.

25Et, au 20e siècle, c’est cet aspect le plus « régressif » de Marx qui prendra le dessus à l’Est. Jacques Bidet note que la substitution de la planification administrative au marché n’a que très imparfaitement orienté la production vers les « valeurs d’usage [18] ».

26L’urgence écologique actuelle pourrait nous conduire à sortir de ces différentes impasses en promouvant réellement la valeur d’usage dans un type de développement réel et durable. Mais, l’urgence écologique nécessite-t-elle la décroissance soutenable ?

27Si la critique du ou des productivismes contemporains par les tenants de la décroissance soutenable est incontestablement pertinente, les alternatives proposées ne le sont pas toutes.
Serge Latouche, un des théoriciens de la décroissance aujourd’hui les plus en vue, propose de synthétiser un programme de décroissance soutenable décliné en 8 R : réévaluer (changer les valeurs), reconceptualiser (satisfaction de nos besoins et temps de travail sont à repenser), restructurer, relocaliser (l’économie pour diminuer le transport des hommes et marchandises), redistribuer, réutiliser (remettre en question l’obsolescence accélérée des produits et appareils jetables), réduire, recycler [19].
Plusieurs de ces propositions sont recevables et dignes d’intérêt. Le besoin d’orienter la société vers un mieux-être passe incontestablement par une nouvelle conception du travail, du temps non contraint, une meilleure répartition des richesses du local au mondial, une restructuration profonde de l’appareil productif en vue de maximiser les valeurs d’usage et de diminuer les gâchis (réutiliser, recycler). Relocaliser l’économie est aussi un objectif nécessaire car la multiplication des distances parcourues par les marchandises génère des gâchis écologiques impressionnants mais monétairement difficilement mesurables. Le terme « réduire » est plus problématique. Lorsqu’il s’agit de réduire les gâchis, de diminuer certains échanges marchands inutiles, etc., ce terme convient.

28Mais énoncé de façon globalisante, le terme « réduire » ne peut devenir un concept politique opérationnel lorsque dans les pays riches, le trop-plein insolent côtoie le dénuement profond. Et a fortiori dans les pays du tiers-monde où Jean-Marie Harribey souligne que les populations pauvres ont droit à un temps de croissance économique et que l’idée d’une extrême pauvreté renvoyée à une simple projection des valeurs occidentales témoigne d’un relativisme culturel irrecevable [20]. L’Occident et le Japon ont d’ailleurs bénéficié de ce temps de croissance et d’une amélioration du bien-être (habitat, confort, santé, alimentation, éducation) depuis la Révolution industrielle. En plus, la croissance de certaines productions (éducation, assainissement, collecte des déchets, etc.) consomme certes des ressources énergétiques mais peut alléger d’autres contraintes environnementales (propreté, hygiène, qualité de l’eau, etc.).

29Cependant, au fil du temps, les désutilités, pourtant comptabilisées comme richesse dans le PIB, tendent à croître. De nombreux auteurs (notamment Miringoff, Osberg et Sharpe) ont construit des indicateurs illustrant la dissociation progressive entre PIB et bien-être social. À côté de la production de richesses fondamentales (alimentation, logement, éducation, santé, etc.), elle-même partiellement affectée par des désutilités croissantes (publicité, productions alimentaires mauvaises pour la santé, etc.), l’économie capitaliste contemporaine génère toujours plus de gâchis sur le marché des biens et services (publicité, pollutions, gadgétisation d’un nombre croissant de produits, surinvestissements gigantesques dus à la concurrence dans des secteurs d’activités à rendements croissants [21], financiarisation de l’économie, dépenses militaires et sécuritaires grandissantes pour maintenir l’ordre social instable, coûts bureaucratiques de création artificielle de droits de propriété pour conserver le caractère marchand de productions intellectuelles et informationnelles).

30Ainsi, en matière de santé, les dépenses de publicité dépassent celles de recherche [22]. Ces désutilités sont difficiles à chiffrer car leur impact ne peut être systématiquement évalué.

31Cette déconnexion entre PIB et bien-être social s’observe aussi dans la sphère environnementale. En effet, la croissance aveugle et non maîtrisée conduit, avec des techniques de plus en plus sophistiquées, à l’explosion d’externalités environnementales négatives dont les manifestations tangibles sont souvent différées (cas de l’amiante, probablement bientôt de certains OGM, de l’effet de serre, etc.)

32S’il était techniquement possible d’actualiser monétairement ces externalités négatives, nous serions peut-être déjà en phase de décroissance du PIB.

33Mais cette tendance dépressive probable est contrecarrée par le fait qu’une part croissante des richesses créées n’est pas mesurée faute de contrepartie monétaire. Au-delà des activités traditionnelles hors marché (autoproduction domestique, économie classique du don) émergent des activités informationnelles dans l’univers de la création, de l’éducation et de la recherche, voire de la production matérielle, dont la nature intrinsèque n’est pas marchande [23]. Ces activités occupent une place croissante dans la société. Elles peuvent être produites dans des formes diverses allant du professionnel marchand aux cadres plus coopératifs propres aux communautés numériques.

34Le marché essaie de dresser des barrières pour limiter ces activités sans flux monétaires. Il montre alors son caractère absurde en créant des « richesses marchandes » dont le but est de bloquer la diffusion gratuite et sans limite de la valeur d’usage des biens informationnels afin de constituer artificiellement des rentes de situation. Autrement dit, ce qui a un prix marchand devient inutile et ce qui possède un caractère gratuit devient un bien précieux. Dans ces conditions, l’adage populaire selon lequel « ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur » paraît de plus en plus infondé.

35L’économie ne sert plus alors à produire des richesses sous condition de rareté relative mais à empêcher la diffusion de la richesse « réelle » ! L’objectif devient la création de valeurs d’échange marchand pour interdire la diffusion gratuite et très large de la valeur d’usage. Valeur d’échange marchand et valeur d’usage tendent à devenir toujours plus antagonistes dans le capitalisme mondialisé.
Si ces facteurs marchands de blocage de la diffusion de la connaissance étaient levés, l’économie cognitive pourrait libérer un potentiel énorme de croissance. Faudrait-il s’en inquiéter au nom de la décroissance ?
Oui, si croissance reste synonyme d’augmentation du volume produit, situation correspondant selon Maurice Décaillot à la tendance profonde des sociétés marchandes à privilégier le gain en volume plutôt qu’en efficience [24]. Mais pas forcément, si le terme renvoie au sens strictement économique de rapport entre la production et les consommations intermédiaires ou intrants externes. En effet, à niveau de production identique, il y a croissance si les intrants externes diminuent relativement à la production. Décaillot souligne même le caractère anthropologique de cette croissance marquée par le gain d’efficience : « les évolutions séculaires montrent que le développement des aptitudes humaines à organiser le milieu naturel et à y introduire des outils de plus en plus performants se traduit par une création de ressources nettes en croissance par rapport à un stock donné de ressources matérielles [25]. »

Conditions pour un développement réellement durable

36La croissance pourrait être acceptable si elle s’orientait vers des productions de qualité et durables maximisant la valeur d’usage et s’accompagnait d’une répartition plus égalitaire tendant à prendre en compte l’apport de travail de chacun. Par ailleurs, elle devrait être non pas guidée par l’augmentation en volume afin de satisfaire les besoins d’accumulation du capital, mais par l’efficience, qui n’entraîne toutefois pas automatiquement une réconciliation harmonieuse entre économie et nature. C’est en effet l’utilisation des gains d’efficience qui va déterminer si la croissance est soutenable ou non. C’est pourquoi ces gains libérant du temps de main d’œuvre devraient prioritairement être affectés à la réparation de la nature, à l’amélioration du bien-être avec croissance de certaines productions à fortes valeurs d’usage et corrélativement décroissance d’autres productions à valeurs insuffisantes voire négatives, mais aussi à la réduction du temps de travail voire à la diminution de son intensité. Une baisse de productivité et un recours à une main d’œuvre accrue avec moins d’intrants phytosanitaires seraient bénéfiques dans l’agriculture où le productivisme effréné crée les conditions d’un recul futur de la productivité. La part de production de biens de consommation courants et consommateurs d’énergie serait réduite et limitée au besoin de leur renouvellement selon un rythme moins effréné qu’actuellement. La proportion des biens collectifs de consommation de longue durée (logements, infrastructures urbaines, équipements publics, etc.) croîtrait fortement pendant un certain temps afin d’assurer un vrai confort de vie tout en veillant à augmenter l’efficience énergétique.

37La nature des services changerait avec la priorité aux services publics (santé, éducation et recherche, services urbains récréatifs et culturels, etc.) le développement de biens relationnels dans le champ de l’économie publique et/ou de l’économie sociale et solidaire et l’effacement progressif d’une partie importante de services marchands exerçant une pression forte sur les écosystèmes sans même apporter une valeur d’usage suffisante.

38Ces mutations économiques d’ampleur gigantesque mais positives pour l’environnement et contribuant au mieux-être social n’entraîneraient pas le chômage produit actuellement par les restructurations liées à la guerre économique ou aux évolutions technologiques. Car, des moyens substantiels seraient alloués pour la formation continue afin de rendre effective la mutation des emplois et métiers dans le cadre de la restructuration économique. Le concept de « sécurité d’emploi ou de formation » élaboré par Paul Boccara combiné à un crédit incitatif avec taux d’intérêts bonifiés pour les projets d’utilité sociale et écologique pourrait devenir un outil au service de ces restructurations socio-économiques majeures [26]. Ce nouveau type de plein emploi sécuriserait les parcours professionnels avec alternance de périodes de plein emploi et de formation correspondant aux enjeux de la révolution informationnelle mais aussi aux aspirations d’épanouissement individuel. Pour Boccara, le plein emploi antérieur a vécu, mais il est concevable de vaincre le chômage dans une mobilité de promotion. Ce concept « boccarien » pourrait être enrichi en intégrant en sus de l’emploi et de la formation des temps de vie consacrés à des activités artistiques, de voyages, de projets sociaux… afin de prendre en compte les multiples facettes de la personnalité humaine. D’ailleurs, dans l’économie immatérielle, l’efficacité dans le travail réside aussi et de plus en plus dans des savoir-faire acquis dans le temps hors travail.

39Le travail devrait aussi intrinsèquement beaucoup évoluer au-delà des changements de métiers, de productions évoqués ci-dessus et de la part grandissante occupée par de la formation en son sein. Progressivement, une part du temps de travail devrait être consacrée à débattre et décider, en interne mais aussi avec la société selon des processus empruntant aux expériences de démocratie participative, de la validité des choix techniques et de procédures adoptés dans le cadre de l’entreprise, du service public…

40La complexité des questions à résoudre alliée à la multiplicité des possibles appelle très certainement une part accrue de délibératif dans le travail ainsi que du temps de recul afin que la technoscience ne réduise « l’être humain au rang de catalyseur dans le processus de création technique ». Sinon, il est à craindre que les processus d’autonomisation de la technique échappent à l’homme et réduisent celui-ci en « outil du propre développement de celle-ci [27] ». Ces débats d’un type nouveau impliqueraient en retour la nécessité d’augmenter le temps de la formation.

41La durée de mise en œuvre d’un certain nombre de projets, de décisions de fabrication serait certainement allongée mais ce qui serait produit, construit, ne générerait pas toutes les externalités négatives actuelles et serait porteur d’une valeur d’usage forte. Le rythme ralenti des mutations productives ne garantirait pas cependant le risque zéro, l’innovation, même introduite prudemment, comportant toujours une relative part non prédictible de dangers. Au final, la toute puissance actuelle du concept de productivité faisant l’impasse sur les fins de ce qui est produit serait ramenée à la « simple » mesure de l’efficacité des processus mis en œuvre afin d’atteindre un but ayant préalablement fait l’objet de délibérations contradictoires.

42Quant à l’affectation des gains d’efficience issus de ces processus, elle devrait être différenciée selon la situation sociale de chaque pays. Dans les pays pauvres, où réside la majorité des habitants du globe, la poursuite, même ralentie, d’une forte poussée démographique nécessitera une croissance productive au moins égale pour maintenir le niveau de vie. D’où, le caractère quasi-incontournable au niveau mondial d’une relative croissance matérielle, sauf improbable décroissance matérielle très forte dans les « pays développés ». Mais cette croissance doit devenir le plus rapidement possible synonyme de mieux-être social tout en obtenant de bons résultats écologiques. Pour cela, elle devrait s’accompagner simultanément d’une mutualisation mondiale systématique des procédés, méthodes et expériences écologiques et sociaux les plus efficaces.
La notion confuse de « décroissance » ne peut donc être retenue même si certaines réductions matérielles doivent être engagées telles la réduction du nombre de voitures dans les métropoles au profit des transports en commun. Le bilan global après restructuration de cette filière du transport de personnes en milieu urbain serait très probablement une décroissance matérielle corrélative d’un mieux-être social. En serait-il autant dans tous les domaines ?
Mais la crise environnementale menaçante rend la voie particulièrement étroite pour assurer dans des conditions écologiques supportables cette relative croissance matérielle mondiale. Malgré l’urgence, la mise en œuvre de politiques pour dépasser ces multiples contradictions sera ardue.

Quelques pistes pour un projet politique écologique et social

43Tout projet politique novateur devrait d’abord mettre en exergue des objectifs de mieux-être social sous réserve des contraintes naturelles dont les limites sont certes dans l’absolu évolutives dans le temps mais présentement déjà dépassées. Par analogie au découvert bancaire, nous pourrions dire que « le découvert écologique actuel » doit rester très ponctuel afin d’éviter la clôture du compte. Avec le « découvert écologique », certains dommages sont toutefois d’ores et déjà irréversibles. Si l’humanité ne réagit pas vigoureusement, le maintien pendant encore quelque temps d’un mode de vie outrepassant les limites naturelles du moment, produira probablement de grandes catastrophes écologiques et donc sociales. Il est toujours concevable de parier sur un ou des sauts technologiques nous faisant reculer ces limites et repasser du « bon côté de la ligne ». Mais ce pari est très aléatoire.

44Pourtant l’urgence sociale planétaire actuelle nécessite une relative croissance matérielle mondiale y compris dans la perspective d’un développement humain sobre.

45En cela, une contradiction dangereuse et presque antagonique s’amorce pour une période entre urgences sociales et urgences écologiques. Désamorcer cet antagonisme s’avère particulièrement délicat du fait des temporalités différentes entre le social et l’écologique. La temporalité sociale est immédiate, l’écologique en partie différée. Et ni l’une ni l’autre ne sont une priorité dans la mondialisation capitaliste qui nous éloigne de plus en plus des limites naturelles sans même apporter un mieux social.

46Désamorcer ces antagonismes ne pourra se réaliser que par une adhésion populaire. Tout discours écologique péremptoire et moraliste ne portera pas. Il faut inventer une façon radicalement différente de celle du 20e siècle de promouvoir des changements révolutionnaires.

47Dans ce contexte, quelles politiques clairement énoncées permettraient de gagner rapidement une adhésion populaire mondiale pour à la fois repousser les limites naturelles déjà dépassées et réduire ou stabiliser au moins l’empreinte écologique présente tout en améliorant le bien-être social ? Sortir de la quadrature du cercle suppose des réponses théoriques mais aussi des pratiques très audacieuses. Le projet politique doit être d’une très grande ambition et dépasser les objectifs étriqués socialistes ou sociaux-démocrates du 20e siècle de meilleure répartition de la richesse créée.

48L’objectif est civilisationnel et vise à réconcilier l’Homme avec lui-même donc aussi avec la Nature dont il est un élément indissociable tant que l’espèce humaine demeure. La recherche du mieux-être social doit primer. Sans cette quête, point de salut écologique ! Ce mieux-être passe par la maximisation de la valeur d’usage ; par exemple, le droit au déplacement dans les grandes villes serait assuré généralement beaucoup mieux par un renforcement conséquent des transports en commun qu’il faudrait de qualité et gratuits et une décroissance de l’utilisation de l’automobile [28]. En même temps, la tendance dangereuse à l’étalement des villes devrait être stoppée grâce à la reconquête de friches urbaines, à des politiques publiques offrant à chacun le droit effectif au logement, à une amélioration considérable de la qualité urbaine. Ce droit passerait vraisemblablement par la création d’un service public du logement dépassant le cadre restreint du logement social. Les logements construits et les aménagements urbains corrélatifs devraient être de très grande qualité afin de constituer un des éléments de « réenchantement » de la ville participant ainsi à contrer la tendance observée depuis une quinzaine d’années de fuite vers la périphérie des grandes agglomérations et l’étalement urbain néfaste [29]. Des exemples d’habitat vertical de grande qualité existent dans les zones favorisées des agglomérations. De la même façon, les autres services urbains devraient progresser qualitativement et quantitativement.

49Avec l’émergence de ces politiques publiques, la possession, l’avoir deviendraient alors secondaires au profit du droit d’usage. Le seul intérêt de l’avoir devient le pouvoir être et l’émancipation de chacun, la condition de celle-ci étant inscrite dans ce que les anthropologues nomment « stratégie d’altruisme réciproque ». Cette stratégie implique la reconnaissance des besoins minoritaires au détriment d’une conception majoritaire issue du marché et dictant sa loi à la minorité.

50Contrairement au marché qui, par nature, standardise, massifie et élimine ainsi la diversité, des formes économiques nouvelles intégrant un secteur public puissant mais aussi une économie sociale et solidaire pluraliste peuvent potentiellement constituer un vecteur important de réponses multiples et sobres à un certain nombre de besoins différenciés. Le point commun théorique de ces diverses formes économiques réside dans l’absence des notions de profit et d’accumulation comme but prépondérant de l’activité.

51Le service public doit essentiellement servir à préparer l’avenir et à assurer des droits fondamentaux à chacun. Outre les fonctions régaliennes dont le poids doit à terme diminuer, il convient d’englober dans le service public la santé, l’éducation, la recherche et la culture, le domaine de la prévoyance dont la retraite et une partie du crédit ainsi que des services devenus indispensables comme l’habitat, les transports en commun, les services techniques urbains et environnementaux.

52Des activités à rendements croissants nécessitant du fait de contraintes techniques des investissements conséquents seraient aussi à intégrer dans le secteur public via la constitution de grandes entreprises publiques [30].

53À côté de cette large sphère publique au sein de laquelle des formes de management démocratiques et facilitant l’esprit d’initiatives sont à imaginer, un ensemble d’activités (services à la personne, agriculture, prestataires de services mais aussi de petites et moyennes entreprises de fabrications diverses) pourrait s’insérer dans une nouvelle économie sociale et solidaire créatrice de rapports d’échanges internes et externes marqués par la recherche de l’équité. Cet ensemble comprendrait des entreprises coopératives mais aussi des entrepreneurs individuels échangeant de façon équitable avec les autres entités économiques et s’insérant ainsi parfaitement dans une forme d’économie socialisée n’interdisant pas l’entreprenariat. Des normes d’échanges équitables peuvent être construites pour les biens connus et les services reproductibles en prenant en compte l’apport en travail social de chaque entité économique échangiste. Afin de prévenir les risques d’égalitarisme dépossédant les individus et collectifs de la qualité de leur travail, des normes moyennes de productivité peuvent servir de référence pour l’échange inter-entreprises dans chaque secteur. Pour les biens nouveaux, Décaillot propose une négociation entre échangistes avec procédures d’arbitrages tiers pas à pas en cas de divergences sur la norme d’échanges [31]. Les services spécifiques entretiendraient de leur côté des rapports d’évaluation et d’échanges réputés équivalents avec le reste des activités économiques.

54La généralisation de ces rapports d’échange contractuels, soumis à l’arbitrage tiers en cas de désaccord, permettrait d’aboutir à équilibrer de proche en proche les offres et demandes sans planification centrale omnisciente d’efficacité très incertaine.

55Pour les échanges internationaux, l’équité tendant à considérer la productivité réelle de chaque échangiste serait recherchée. Ainsi, des populations aux niveaux de vie et de productivité différents pourraient échanger ce qu’elles souhaitent sans pour autant renoncer à leur mode de vie et au développement de leurs propres activités [32]. La notion de guerre économique, de recherche de plus-values dans l’échange serait bannie et favoriserait une relocalisation des activités matérielles diminuant la pression sur les écosystèmes.

56Ces formes nouvelles de relations aideraient au développement de coopérations et d’échanges gratuits immatériels entre pays s’appuyant sur la confrontation fertile de connaissances issues de la science moderne mais aussi de pratiques plus traditionnelles. Compte tenu du poids grandissant du travail immatériel dans la création de richesses, ces coopérations conduiraient graduellement à une croissance moyenne mondiale plus forte mais aussi à la convergence des productivités entre pays par la diffusion accélérée des pratiques productives socialement et écologiquement efficaces. Évidemment, cette croissance devrait essentiellement se traduire par la réduction du temps de travail et la réparation de la nature. Ce schéma orienterait vers une mondialisation multipliant les échanges informationnels, culturels et humains et réduisant partiellement les échanges matériels. Avec des conséquences bénéfiques pour les écosystèmes. La transposition de ce type de relations entre nations peut aussi servir de cadre au développement d’échanges inter-entreprises ou entre entrepreneurs individuels.

57Des expériences un peu similaires existent dans les districts industriels italiens. On pourrait imaginer le développement de multiples entreprises sociales et solidaires de taille petite ou moyenne dans le domaine des biens et services non publics développant en commun les processus complexes nécessitant une taille critique suffisante. Ces réseaux coopératifs d’entreprises sociales et solidaires constitueraient progressivement une alternative crédible aux oligopoles de plus en plus prédateurs.

58À l’intérieur du pays basque espagnol, le réseau Mondragon fonctionne selon des modalités relativement proches. Les sociétés humaines cherchent actuellement des formes économiques alternatives en ce sens. Mais l’émergence de ces formes est longue et contradictoire à cause notamment de l’absence de visée économique et politique suffisamment structurée.

59Cette construction dès aujourd’hui d’alternatives économiques et civilisationnelles peut s’appuyer toutefois sur le besoin naissant de consommer différemment, de gagner en autonomie par rapport au marché prédateur et dévastateur. Mais aussi sur l’aspiration à d’autres rapports au travail.

60Le désir d’autonomie des individus trop souvent manipulé par le marché pourrait trouver un large champ d’expression dans ces formes économiques conjuguant à la fois l’initiative entreprenariale et collective et dépassant ainsi l’assujettissement salarial.

61S’appuyer sur ces aspirations individuelles et collectives déjà fortes dans la société pourrait être un moyen de subvertir la figure ambivalente de l’entrepreneur libéral dans un sens garantissant le bien-être collectif et la préservation de la Nature.
Ces expériences doivent être bâties progressivement avec une vision claire des objectifs à atteindre. Ces réseaux d’économie sociale et solidaire doivent s’épauler pour gagner peu à peu une autonomie organisationnelle et financière face au marché prédateur.
Les pouvoirs publics progressistes, y compris au niveau local, peuvent favoriser considérablement l’émergence de ces formes économiques alternatives par des mesures réglementaires, leurs politiques d’achat, leurs diverses interventions économiques.
Une articulation de plus en plus large peut s’opérer entre réseaux économiques alternatifs et collectivités locales soucieuses de développement local et social sur leurs territoires dans une perspective de desserrement des contraintes institutionnelles et marchandes pesantes.
La réussite progressive de ces nouvelles formes économiques trop souvent négligées au profit uniquement de combats politiques classiques certes légitimes est largement susceptible de produire des débats forts dans les espaces publics nationaux voire au-delà et de contester de plus en plus l’économie capitaliste. Ces expériences économiques alternatives pourraient alors être un des vecteurs conduisant à des changements structurels plus larges dans le système économique et les modes de développement à l’échelle nationale puis mondiale.

Conclusion

62Les urgences écologique et sociale contemporaines réinterrogent les catégories de développement et de croissance, notions fétichisées par le capitalisme et par un rapport scientiste au progrès originaire des Lumières. Il est désormais évident que la croissance économique actuelle n’engendre plus nécessairement du mieux-être alors qu’elle induit de graves déséquilibres écologiques. Il en découle l’émergence d’un courant de pensée favorable à la décroissance économique.

63Si nombre d’interpellations des théoriciens de ce courant sont d’un grand intérêt, prôner une décroissance apparaît cependant irrecevable, tant la pauvreté reste dans le monde la condition la plus partagée. Par ailleurs, le progrès est une catégorie anthropologique majeure incontournable. Ce dernier doit donc être revisité en privilégiant la coopération plutôt que la compétition, la valeur d’usage contre les valeurs de l’échange marchand, le pouvoir être contre l’avoir fétichisé. À ces conditions, les gains d’efficience issus de la croissance économique peuvent amener du mieux-être social tout en préservant la nature. À ces conditions, un nouveau socialisme, radicalement différent du pâle épisode du 20e siècle, pourrait émerger.

64Ce socialisme serait autogestionnaire, communautaire et écologique ; il abandonnerait l’utopie néfaste et infantile de l’abondance matérielle et de l’égalitarisme collectiviste assujettissant en définitive les individus non reconnus dans la richesse de leur singularité. Il serait une nouvelle articulation épanouissante pour chaque personne humaine, entre l’individuel et le collectif. Il dépasserait ainsi les contradictions sociales et écologiques du socialisme du 20e siècle.

Notes

  • [1]

    Anne-Marie Saquet, Atlas mondial du développement durable, Éditions Autrement, Paris, 2002.

  • [2]

    Ibid.

  • [3]

    Nicholas Georgescu Roegen, Demain la décroissance : entropie-écologie-économie, Sang de la terre, Paris, 1995 (1re édition 1979).

  • [4]

    Ibid., p. 149.

  • [5]

    Ibid., p. 141.

  • [6]

    Niveau de dégradation de l’environnement au-delà duquel un écosystème connaît un accroissement subit des effets négatifs et éventuellement irréversibles sur son fonctionnement et sa résilience générale. Jean-Marie Harribey, « À propos de l’environnement : économie et écologie », Conférence de l’université d’Attac, 2000.

  • [7]

    Ted Benton, « Marxismes et limites naturelles », Actuel Marx, n° 12, 1992, p. 59-95.

  • [8]

    Les pays s’engagent, d’après le protocole, à diminuer globalement leurs émissions de GES de 5,2 % d’ici à 2010, par rapport à 1990. Mais, ces engagements seront difficiles à atteindre. Par ailleurs, le principal « pollueur », les États-Unis, n’a pas ratifié Kyoto.

  • [9]

    Jean-François Noël, « Économie et écologie », Autrement, n° 159,1995, p. 132.

  • [10]

    Roger Guesnerie, Kyoto et l’effet de serre, rapport pour le Conseil d’analyse économique, 2003.

  • [11]

    Jean-Marie Harribey, « Marxisme écologique ou écologie politique marxienne », in Jacques Bidet et Eustache Kouvélakis (dir.), Dictionnaire Marx contemporain, PUF, Paris, 2001, p. 183-200 ; Jean-Marie Harribey, « Mondialisation et écologie: de l’impasse à l’ouverture », Les Cahiers de Critique Communiste, 2003, p. 71-79.

  • [12]

    Jean-Marie Harribey, 2001, op. cit., p. 194.

  • [13]

    Jérôme Monod et Philippe De Castelbajac, L’aménagement du territoire, PUF, Paris, 2001, p. 11.

  • [14]

    Karl Marx, Le Capital, livra I, PUF, Paris, 1993 (1ère édition 1867), p. 565-566.

  • [15]

    Jean-Marie Harribey, 2001, op. cit., p. 190.

  • [16]

    Nicholas Georgescu Roegen, op. cit.

  • [17]

    Ted Benton, op. cit.

  • [18]

    Jacques Bidet, « Y a-t-il une écologie marxiste ? », Actuel Marx, n° 12, 1992, p. 109.

  • [19]

    Serge Latouche, « Pour une société de décroissance », Le Monde Diplomatique, novembre 2003, p. 18-19.

  • [20]

    Jean-Marie Harribey, « Développement ne rime pas forcément avec croissance », Le Monde Diplomatique, juillet 2004, p. 18-19.

  • [21]

    On trouve quelques cas contraires avec des sous-investissements dans des secteurs à forts coûts fixes comme l’électricité où les offreurs sont trop prudents.

  • [22]

    Haut conseil de la coopération internationale, Les enjeux d’une reconnaissance de la santé comme bien public mondial, Synthèse du Haut conseil de la coopération internationale, Paris, août 2001, www.hcci.gouv.fr/lecture/synthese/sy002.html.

  • [23]

    Ivan Lavallée explique que la part informationnelle d’une voiture prend une place déterminante dans le processus de fabrication. Ivan Lavallée, Cyber révolution, Le temps des cerises, Paris, 2002.

  • [24]

    Maurice Décaillot, « Au-delà du marché », La Dispute, Paris, 1999, p. 69-74.

  • [25]

    Ibid., p. 70.

  • [26]

    Paul Boccara, « Pistes pour des interventions et scénarios pour une sécurité d’emploi et de formation mobiles dans une régulation nouvelle », Issues, n° 47-48, 1996.

  • [27]

    Stéphane Bonnevault citant Jacques Ellul dans Développement Insoutenable. Pour une conscience écologique et sociale, Éd. du Croquant, Bellecombes, 2003, p. 103.

  • [28]

    Il faudrait aussi que celui-ci ne soit pas subit comme c’est de plus en plus fréquent, avec des déplacements journaliers obligatoires harassants à cause de la dissociation croissante entre lieu de travail et habitat, provoquée par le développement en tâche d’huile des grandes agglomérations.

  • [29]

    En effet, comme l’ont montré Newman et Kenworthy dès 1989, la consommation énergétique par habitant est bien plus élevée dans les agglomérations peu denses. Ainsi, la consommation énergétique nécessaire à un Londonien ou un Parisien est six fois inférieure à celle d’un habitant de Détroit ou Houston.

  • [30]

    Les rendements croissants le sont aussi parfois pour de mauvaises raisons (pouvoir de marché minorant le coût des achats, nécessité d’amortir des coûts fixes publicitaires, etc.).

  • [31]

    Maurice Décaillot, 1999, op. cit., p. 105-116.

  • [32]

    Maurice Décaillot, Le juste prix, L’Harmattan, Paris, 2003, p. 136-137.

Comment l'innovation rend la croissance économique soutenable ?

Pour présenter les choses simplement, l'innovation peut entraîner une hausse de la productivité, autrement dit, une augmentation de la production avec les mêmes intrants. Une meilleure productivité se traduit par une progression de la production de biens et services, c'est-à-dire la croissance de l'économie.

Comment mettre en place une croissance soutenable ?

Une croissance "soutenable" doit répondre aux besoins du présent sans compromettre les chances des générations futures. Un premier essai de diagnostic vise à permettre d'identifier les arbitrages que nous devrons réaliser en priorité.

Qu'est

La soutenabilité correspond à une croissance durable, c'est-à-dire qui prenne en compte la destruction du capital naturel et offre des solutions. Le progrès technique peut offrir des solutions aux limites écologiques de la croissance.

Quel est le rôle des nouvelles technologies dans la croissance économique ?

Le progrès technologique est la principale source de croissance économique … Le progrès technologique accroît la production économique et le bien-être en améliorant la productivité, c'est-à-dire en permettant de produire plus avec les mêmes ressources, et en favorisant plus d'innovation et de développement.

Quels sont les effets du progrès technique et de l'innovation sur la croissance ?

Le progrès technique stimule la demande De plus, les gains de productivité obtenus grâce aux innovations de procédé peuvent être répartis entre une baisse des prix et une hausse des salaires. Dans les deux cas, la demande augmente, ainsi que la croissance.